Le processus d’enchainement des niveaux de vision du monde

Ennéagramme et Spirale DynamiqueL’évolution des sociétés humaines peut être abordée en considérant l’évolution du niveau de complexité utilisé pour appréhender et comprendre le monde. Divers auteurs (Gebser, Wilber, Wade, Cowan, Graves, …) ont proposé des échelles pour évaluer ce critère, la plus connue étant certainement la « Spirale Dynamique » de Clare Graves. Si on tente de synthétiser les différentes approches proposées en une seule, on se retrouve face à une échelle croissante des façons de se représenter l’interaction à la réalité. Cette échelle est croissante dans le sens que chaque « étage » s’appuie sur le précédent et demande de mettre en œuvre plus de ressources mentales pour pouvoir exister. Aucune notion de supériorité en terme de valeur relative des visions successives n’est mise en avant.

C’est en déroulant les différents niveaux de vision que l’on comprend le mieux l’échelle proposée, aussi c’est ce que je vous propose de faire à présent. Il est particulièrement intéressant d’envisager ces niveaux successifs comme les étapes d’un processus et, en la matière, nous disposons d’un outil particulièrement pertinent : l’ennéagramme des processus (voir l’article sur ce sujet).

Au départ, préexiste le niveau archaïque, qui était vraisemblablement celui dans lequel baignait l’homme paléolithique. Dans cette vision, la question est de survivre dans son environnement et rien n’est disponible pour y aider, aucune structure n’étant en place. L’homme est entièrement dominé par ses pulsions de faim, de soif, de sommeil, etc… La pulsion génère une tension qu’il s’agit d’assouvir, en réaction. Les sens sont exacerbés pour permettre la survie. L’impact sur l’environnement est minimal puisqu’on s’y adapte et qu’on ne cherche pas à le transformer. Il n’y a pas vraiment de conscience de soi vécu comme distinct. On survit en trouvant sa place et sa fonction dans l’ensemble, là où on n’est pas remis en cause. L’homme chasse, la femme cueille.

C’est alors qu’advient un premier “choc” : celui de la prise de conscience d’être séparé de la nature, et avec elle la préoccupation de subsister.

Dans un premier temps (point 1 de l’ennéagramme des processus), l’intelligence se développe, et avec elle la notion de cause et d’effet amenant au concept du temps. On fabrique des outils pour mieux survivre et on commence à penser à les emporter avec soi. La conscience d’être distinct émerge et avec elle un niveau de vision du monde qui est le niveau magique, dans lequel baignait l’humanité du néolithique. L’homme est amené à se poser la question des causes qui produisent les effets désirables ou indésirables et commence à établir des liens. Le monde est perçu par les émotions et par conséquent changeant, établissant un climat magique dans lequel le bâton peut à tout instant devenir un serpent et inversement. Face à cette instabilité, il s’agit d’établir une constance et le groupe devient le moyen d’assurer un point de stabilité à travers la sagesse des anciens et les coutumes ancestrales. L’individu est ici le fruit d’une lignée à laquelle il appartient, qui assure sa sécurité et dont il n’est pas libre. La possession des outils et objets est celle du groupe et non de l’individu.

La sécurité qu’offre la tribu permet la mise en route d’outils plus lourds nécessitant la force physique, la production devient masculine et le niveau de vision change (point 2 de l’ennéagramme des processus)  pour devenir un niveau mythique, particulièrement marqué en occident par la civilisation grecque. Il y a émergence de la notion d’individu séparé du groupe, et du Roi, représentant l’individualité du royaume. Cette conquête d’une existence distincte de celle du groupe appelle la satisfaction impulsive immédiate de ses propres désirs. Face aux autres qui peuvent avoir des désirs contradictoires, c’est la loi de la jungle, du plus fort, qui prévaut. Les relations sont donc basées sur la force et il est capital d’être perçu comme fort et du coup respecté. Celui qui a le pouvoir est tout puissant, du consensus de la tribu on passe à la domination (esclavage).

La question de la subsistance ayant été réglée, un second « choc » arrive (point 3 de l’ennéagramme des processus) avec le souci de créer l’abondance.

Quand la violence de la vision mythique devient difficile à supporter et ne permet plus d’assurer la cohésion des empires constitués, le besoin d’une Loi, c’est à dire de règles qui soient au-delà de la partialité d’un seul et ramènent l’ordre au milieu du chaos, se manifeste (point 4 de l’ennéagramme des processus). Cette loi doit pouvoir s’imposer à tous et émerge alors le niveau de la Vérité Absolue, représenté dans son extrême par la Sainte Inquisition. Ici, la divinité impose des « Tables de la Loi ». Apparaissent les notions de bien et de mal, liées à une morale. A l’intérieur du groupe se développe une conception du monde qui est forcément LA vérité, vu qu’il n’y en a qu’une seule. Il convient donc de rallier les autres à cette vérité ultime, expression d’une perfection divine à l’intérieur de laquelle chacun est à sa place parce que la providence en a justement décidé ainsi. La vie trouve un sens dans l’obéissance à la Vérité. Sortir du droit chemin est source de culpabilité.

De la stabilité permise par ce monde de Vérité Absolue peut alors émerger la notion d’individualité qui ne subit plus la société mais va l’utiliser comme un moyen pour son épanouissement personnel (point 5 de l’ennéagramme des processus). L’événement emblématique de cette vision individualiste est la Révolution Française de 1789. Dans cette perspective, la récompense de la Vérité Absolue est un peu lointaine et on va chercher à gagner sa place au soleil ici et maintenant. Le monde devient un monde de challenges permanents. Avec l’individualisme, la logique du libre marché et de la libre entreprise sont d’actualité. Il s’agit de grandir, de se développer, le sentiment d’assurance se mesurant à la surface de « territoire » conquis. Les autres ont tendance à être gérés comme des ressources au service des objectifs poursuivis. L’innovation est un moteur de progression. Ce mode de fonctionnement est majoritaire de nos jours dans le cadre de la société de consommation.

Les sociétés occidentales modernes se trouvent dès lors confrontées au troisième “choc” (point 6 de l’ennéagramme des processus), celui qui consiste à décider de vivre en harmonie avec notre environnement.

L’individualisme ayant des objectifs qui finissent par desservir le plus grand nombre, on va alors chercher à mettre en place des approches éthiques, garantissant le bien de tous, vivants ou générations futures (point 7 de l’ennéagramme des processus). On envisage les ressources comme un bien commun de l’humanité et on dénonce l’exploitation de l’homme par l’homme. Le mode de fonctionnement se doit donc de passer par des consensus. Un sens fort de communauté se crée en conséquence, sur la base des relations interindividuelles. Le ressenti prend souvent le pas sur l’analyse logique. La communication se fait à la fois sur les contenus et sur les sentiments. La diversité est promue au sein de la communauté, dans un principe d’acceptation et de tolérance de la différence. Chacun a sa propre beauté intérieure, tout est relatif à l’angle de vue.

Mais bien vite, le fonctionnement selon la vision éthique seule induit des limitations en terme de performance que ne présentait pas la vision individualiste. On prend conscience que la réalité est un ensemble complexe qui ne peut se gérer avec une vision unique qui résoudrait tout et on arrête de construire des visions qui refoulent les précédentes pour les prendre toutes en compte dans les avantages et les complémentarités qu’elles apportent (point 8 de l’ennéagramme des processus). On entre dans un niveau systémique. Le mot clef de la vision est « optimisation » : assurer une fonctionnalité maximale avec une utilisation de ressources minimale, en tenant compte de l’interdépendance de tous les facteurs. On est capable d’apprendre à tout moment et de toute situation ou source d’information.

Le processus est alors bouclé, permettant de s’engager dans une autre boucle de niveau supérieur, dont la découverte des caractéristiques fait partie de l’aventure humaine.

Si on place en résumé les points évoqués sur un ennéagramme des processus, on obtient un diagramme synthétique dont l’exploitation des flèches se révèle riche de sens.

L’ennéagramme des personnalités et les niveaux de vision du monde représentent deux angles distincts et complémentaires de compréhension de la psyché humaine mais on peut considérer que chaque profil ennéagramme est particulièrement en affinité avec un niveau de vision qui serait son “écosystème” de prédilection (ce qui n’est pas dire que les personnes fixées sur ce profil ont forcément ce niveau là de vision du monde, bien sûr !).

Du coup, il est intéressant de considérer la manière dont chaque niveau de vision se projette selon une flèche vers un point de l’ennéagramme qu’on pourrait associer à un profil et de constater, sans toutefois y amener de démonstration sous-jacente, l’affinité qui existe entre :

  • La vision mythique et le profil 8 (flèche 2-8)
  • La vision individualiste et le profil 7 (flèche 5-7)
  • La vision systémique et le profil 5 (flèche 8-5)
  • La vision magique et le profil 4 (flèche 1-4)
  • La vision de Vérité Absolue et le profil 2 (flèche 4-2)
  • La vision éthique et le profil 1 (flèche 7-1)

L’impact des différents niveaux de vision du monde sur la manière de s’organiser et de travailler ensemble est analysé dans le cadre du cursus de Praticien en ennéagramme envolutif.

Jean-Philippe VIDAL
le 28 avril 2009

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