De la trifixation à l’enneafixation

L’ennéagramme est une approche dont l’objectif est de nous permettre de sortir de nos stratégies automatiques, conditionnées par des peurs, nos compulsions à éviter à tout prix certaines choses. C’est un puissant outil de désidentification : nous ne sommes pas les stratégies d’adaptation au monde que nous déployons, nous utilisons ces stratégies, et si nous ne sommes pas suffisamment intégrés, cela “se fait”, sans que le choix conscient de “qui nous sommes vraiment” au delà de nos systèmes de défense n’intervienne. Or il est un piège avec l’ennéagramme, dans lequel tombent de nombreuses personnes, y compris certaines personnes qui véhiculent une vision faussée de l’ennéagramme en étant insuffisamment formées, et qu’on trouve même exprimée dans certains ouvrages que je ne recommanderai pas, c’est le piège de la suridentification. On utilise alors l’ennéagramme pour “mettre en boite” l’individu, lui coller un numéro et le réduire à un des neufs systèmes de défense, oubliant par là que l’ennéagramme ne fait que décrire la prison dans laquelle la personne est enfermée sans rien présager du prisonnier pris à l’intérieur.

Pour moi, la vision la plus juste de l’ennéagramme consiste à dire que nous embarquons tous les 9 stratégies de réponse au sollicitations du monde extérieur et que selon les contextes et les moments, nous jouons une stratégie plutôt qu’une autre. Simplement, nous avons un profil de répartition en terme de préférences entre ces stratégies. C’est ce qu’illustre d’ailleurs le résultat du test de ce site passé en mode exhaustif (“tortue”). Un individu donné mettra peut-être en œuvre 60% du temps la stratégie n°6, 20% la stratégie n°4, etc… Et peut-être seulement 1% du temps la stratégie n°8 par exemple. La répartition sera différente chez un autre. L’enjeu de l’ennéagramme peut être vu comme le rééquilibrage de son profil de répartition, de telle sorte qu’une stratégie ne soit pas jouée à l’excès tandis qu’une autre est mise aux oubliettes, tant il est vrai que pour chaque situation rencontrée, il est une stratégie parmi les neuf qui est particulièrement adaptée et économe en énergie tandis que vouloir à tout pris jouer une autre carte va dépenser énormément d’énergie, énergie qui du coup n’est pas disponible pour autre chose. Plus on s’intègre avec l’ennéagramme, plus les choses deviennent faciles et plus on dispose d’un potentiel d’énergie disponible pour suivre les choix de “qui nous sommes vraiment”.

La vision la plus enfermante de l’ennéagramme consiste donc à dire “un tel EST un 2, tel autre EST un 5, …”. Il est bien plus juste et ouvrant de dire “un tel FAIT du 2, tel autre FAIT du 5, …”. C’est donner à l’individu de l’espace pour faire autre chose que la caricature dans lequel on l’enferme, et de fait, cela correspond à la réalité du quotidien parce que “un 7” (ou tout autre numéro) ne fait pas que du “7” toute la journée !

Aussi je trouve assez intéressante cette approche véhiculée par certains sous diverses nomenclatures (Arica, David & Katherine Fauvre, etc…) qui consiste à énoncer pour un individu non pas un seul profil mais trois qui correspond à ses trois fixations les plus fortes. On parle en général de trifixation. Cette vision a l’immense mérite de sortir d’une vision enfermante de l’ennéagramme qui fait courrir à chaque instant le risque de la suridentification. Finalement, la trifixation correspond au “tiercé de tête” de nos fixations dans l’ennéagramme, comme j’ai l’habitude de le donner dans les résultats de test que je suis amené à effectuer en entreprise.

Toutefois je trouve dommage que ces approches s’arrêtent en si bon chemin et ne poussent pas leur raisonnement jusqu’au bout en parlant non pas de trifixation, mais d’enneafixation, donnant un profil de répartition à neuf valeurs dont l’ensemble donne 100%, un “profil” qui corresponde vraiment à la réalité complète de fonctionnement de l’individu. Tout simplement parce qu’en s’arrêtant en si bon chemin, on retombe dans le risque de la suridentification de manière plus subtile.

En effet, ces approches posent en général des contraintes dans leur tiercé. La plus répandue est cette idée qui consiste à prendre une fixation dans chaque centre, soit un chiffre dans la liste (8,9,1), un autre dans la liste (2,3,4) et un dernier dans la liste (5,6,7). Or pour l’avoir constaté sur le terrain sur des milliers de résultats de test, il y a beaucoup de tiercés de tête qui ne respectent pas cette règle, au moins autant que ceux qui la respectent et il n’est pas rare d’avoir deux profils dans le même centre. Alors pourquoi poser une telle limitation qui se base sur bien peu d’éléments théoriques sinon un esthétisme intellectuel ? En posant des contraintes sur le tiercé, on ferme l’ennéagramme, on limite les possibilités, et donc on s’éloigne de l’infini richesse de l’individu. Quelques calculs simples peuvent nous en convaincre :

Avec une approche “profil de répartition”, on arrive à 9! = 9x8x7x6x5x4x3x2x1 = 362 880 combinaisons différentes si on souhaite rester sur une version “classement” sans tenir compte des  scores. En effet, entre deux individus qui portent tous deux par exemple le 9 en premier suivi du 7, le premier pourrait avoir 9 à 80% et 7 à 10% et le second 9 à 60% et 7 à 20%, et on conçoit aisément qu’on à affaire à deux individus très différents, le second étant sûrement moins caricatural du 9 que le premier. Aussi la version la plus juste doit-elle prendre en compte les neuf pourcentages et on arrive alors à une infinité de possibilités car nous entrons dans un espace “analogique” en contraste de l’espace “numérique/digital” qui consiste à n’annoncer que les chiffres sans les scores. Et nous sommes alors beaucoup plus près de la réalité de l’être humain et de son fonctionnement. John Von Neumann, un des pères de l’informatique moderne, s’interroge sur le fonctionnement de cerveau humain dans son livre “l’ordinateur et le cerveau” et sur la possibilité de comprendre notre fonctionnement sur la base du modèle numérique qu’utilise les ordinateurs pour nous partager son intuition sur l’importance de la dimension analogique (c’est à dire continue et non réduite à des valeurs discrètes) du fonctionnement du cerveau humain pour expliquer un fonctionnement que ne peut pas reproduire l’ordinateur. C’est le même point de vue que j’utilise ici pour militer en faveur d’un profil de répartition sur 9 scores pouvant prendre toute valeur du moment que le total fait 100%.

Avec une approche trifixation, si on pose la limite d’un profil dans chaque centre, on arrive à 3x3x3 = 27 possibilités, éventuellement 162 si on tient compte d’un ordre hiérarchique entre les centres ((2,5,9) pouvant être vu comme différent de (2,9,5)). On voit clairement que sous une forme plus subtile et déguisée, on retombe sur le même paradigme d’un nombre fini de profils, que deviennent inconsciemment autant de boites à l’intérieur desquelles enfermer la personne.

Vous l’aurez compris, je vous invite à voir l’ennéagramme comme un outil de compréhension de nos fonctionnement dans l’ici et maintenant et à ne pas vous laisser enfermer dans une typologie aux nombres de possibilités réduites. Inconsciemment, on y trouve une sécurité pour le mental, mais ce n’est qu’un enfermement plus subtil. Osez partir à la conquête de vos neuf stratégies et les jouer toutes en fonction des choix que vous ferez, manifestant dans les actes qui vous êtes vraiment. Pensez “enneafixation” en n’oubliant jamais que les neufs archétypes de l’ennéagramme sont tous en vous.

Vous pouvez facilement accéder à une analyse claire de votre ennéafixation avec un test ennéagramme Ennéakode.

Jean-Philippe VIDAL
le 31 janvier 2013

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